Pendant une décennie, Park Hyeon-su a vécu dans un micro-appartement sans fenêtre à Séoul, cumulant deux emplois et économisant chaque centime pour sâacheter une belle maison. Mais son dépôt de garantie a été détourné par des escrocs et son rêve sâest écroulé. Le marché locatif sud-coréen fonctionne avec un système unique appelé «jeonse», pour lequel les locataires versent dâimportantes cautions – parfois des centaines de milliers de dollars – puis vivent sans loyer pendant des années, avant de récupérer leur mise lorsquâils déménagent.
Cette formule permet aux propriétaires dâavoir accès à des fonds sans intérêt, et aux locataires dâobtenir un logement gratuit, le bien immobilier servant de garantie. Mais le système, qui représentait les deux tiers du marché de la location dans les années 1990, est aujourdâhui moins populaire. Il a été gangrené par la fraude: plus dâun milliard de dollars sont perdus chaque année dans des escroqueries, selon la police. Park Hyeon-su se souvient avoir régulièrement travaillé de 9 heures à minuit pour des petits jobs de livraison afin dâéconomiser 73.000 dollars. Mais après avoir versé une caution et emménagé, son prétendu propriétaire – qui sâest avéré être un imposteur – a disparu et il a été expulsé, sans aucun moyen de récupérer son argent.
17.000 victimes de fraude
«Ce nâest pas seulement de lâargent», dit-il mais «toute ma vingtaine et ma trentaine» qui ont été volées. «Mon rêve de posséder une maison sâest évaporé, jâai renoncé à sortir avec quelquâun, sans parler de me marier ou dâavoir un enfant», explique le Sud-Coréen de 37 ans, qui a voulu témoigner sous un pseudonyme pour garantir son anonymat. Comme lui, au moins 17.000 personnes – dont 70% entre 20 et 30 ans – ont été victimes de fraude au jeonse ces dernières années. Au moins huit victimes dâescroqueries de ce type se sont suicidées, selon les associations.
De nombreux locataires contractent des prêts bancaires pour verser lâénorme dépôt de garantie requis, avec lâintention de les rembourser une fois quâils auront déménagé et que lâargent leur aura été rendu. Mais une fois escroqués, ils restent redevables à leur banque. Le parlement sud-coréen a adopté lâannée dernière une loi visant à aider les victimes, avec des prêts sans intérêt sur 20 ans. Mais les victimes crient à lâinjustice. «Dire aux jeunes de passer les 20 prochaines années à rembourser lâargent perdu à cause dâune fraude revient à leur dire dâarrêter de vivre», lance Ahn Sang-mi, une victime, lors dâun rassemblement récent à Séoul.
Lâautre option consiste à passer par un processus similaire à la faillite qui efface certaines dettes. Mais cela plombe la note de crédit des emprunteurs, ce qui est particulièrement préjudiciable aux jeunes, affirment les militants. Le gouvernement ne devrait pas «stigmatiser les jeunes» qui commencent à peine leur vie dâadulte, souligne Jang Sun-hoon, une victime de Daejeon.
Il y a quatre ans, Choi Jee-su, 33 ans, a utilisé toutes ses économies et un prêt bancaire pour emménager dans un appartement jeonse afin dâéchapper à la vie dans une chambre dâétudiant infestée de cafards. Mais son appartement a été vendu sans quâil le sache et le propriétaire sâest volatilisé avec sa caution, le laissant criblé de dettes. Pour rembourser son prêt bancaire initial, Choi a emprunté à taux élevés avec ses cartes de crédit et vendu ses actions, tout en travaillant dans des restaurants et en comptant chaque sou pour ses repas. Il passait la journée à préparer des plats délicieux pour les clients, mais «hésitait à acheter un seul paquet de nouilles instantanées» pour lui-même. «Je finissais par choisir le moins cher, et pleurais en le mangeant parce quâil avait un goût horrible», indique le jeune homme qui a raconté son histoire dans un livre intitulé «LâEnfer du Jeonse».
Le parti démocrate, dans lâopposition, a proposé un projet de loi permettant à lâÃtat de rembourser aux locataires les cautions perdues à cause de la fraude. Mais le gouvernement a repoussé cette proposition en invoquant des problèmes de coût. Choi, qui travaille à présent sur un navire gazier dans lâespoir dâéconomiser pour devenir pilote, appelle le gouvernement à agir. La fraude au jeonse détruit des vies, dit-il. «Les victimes perdent tout, leur vie, leurs rêves et leurs joies qui sont brisés.»