Un million de logements en PPE
Dans les PPE, les litiges et les affaires judiciaires sont aujourd’hui plus nombreux que par le passé. D’abord parce que les intérêts particuliers sont toujours plus âprement défendus dans la société. Mais d’autre part et surtout parce qu’il existe toujours plus de PPE. Quand la législation sur les PPE est entrée en vigueur en 1965, on ne savait pas trop combien de gens posséderaient un jour un logement en propriété. Et on ne s’est pas aperçu que certains alinéas de la loi étaient formulés de manière plutôt vague.
Le nombre de logements en PPE devrait aujourd’hui avoir franchi la barre du demi-million. «Sans parler des locaux commerciaux, bureaux et résidences secondaires, complète l’expert. J’estime que, tout bien compté, il existe à peu près un million d’unités en PPE.»
Le fait que la dame de 80 ans mentionnée ci-dessus n’ait pas pu tout simplement faire construire un ascenseur jusqu’à son logis tient à la structure de la PPE. Lorsque quelqu’un dit qu’il est propriétaire de son logement, ce n’est pas tout à fait vrai ou, du moins, c’est trop réducteur. On possède une part du terrain sur lequel l’immeuble est bâti.
Sacro-sainte unanimité
Le logement en PPE est alors une partie de l’immeuble dont on peut disposer librement, à quelques exceptions près. On est ainsi copropriétaire d’un terrain et membre de la copropriété. On reste largement libre au sein de ses quatre murs, mais il existe aussi beaucoup de locaux communs et, de manière générale, une quantité de points sur lesquels la communauté doit se prononcer. Et cela souvent à l’unanimité. En ces temps où la solidarité s’amoindrit, c’est parfois compliqué.
L’exigence d’unanimité dérange particulièrement Amédéo Wermelinger. «Une communauté risque d’être bloquée pendant des années, ce qui est contre-productif.» C’est pourquoi il plaide pour une majorité qualifiée des deux tiers dans certains cas. «L’idée de base de la démocratie doit être mieux reproduite dans la législation sur les PPE. » Et l’exclusion d’un copropriétaire quérulent doit être simplifiée. Aujourd’hui, selon le Tribunal fédéral, une exclusion n’est envisageable qu’à titre d’ultima ratio. Certes, les conditions doivent demeurer strictes car une exclusion est une mesure très radicale: on est contraint de vendre son bien. «Mais si se montrer systématiquement contestataire ne suffit pas à risquer l’exclusion, nous avons un problème.»
Avec l’exigence d’unanimité, une communauté risque d’être bloquée pendant des années, ce qui est contre-productif
Amédéo Wermelinger a expérimenté avec une PPE de la ville de Berne à quel point un propriétaire qui s’oppose peut constituer un problème. Plusieurs bâtiments en PPE se trouvent sur une parcelle concédée en droit de superficie pour quelques décennies. Si un tel droit de superficie n’est pas prolongé avant l’échéance, la PPE doit être dissoute et les actuels propriétaires n’ont plus le droit d’occuper le terrain.
En principe, les copropriétaires souhaitent prolonger le droit de superficie, mais ce n’est possible que si tout le monde vote pour – sauf si le règlement de la PPE prévoit les choses autrement. «Mais même en présence d’un règlement, il peut y avoir des problèmes», signale l’avocat.
Les voisins se fâchent
La PPE mentionnée en ville de Berne comptait 70 membres. Le règlement de la PPE stipulait que le droit de superficie pouvait être prolongé à la majorité des deux tiers. «Mais le conservateur du Registre foncier pensait dans un premier temps qu’il fallait l’unanimité. On tenta donc de réunir l’ensemble des signatures.» Or cela s’avéra impossible pour deux motifs: pour trois appartements, on ne comprenait plus très bien qui étaient les propriétaires. En outre, un des propriétaires refusait de signer. Il était en litige depuis des années avec son voisin et, là, il lui importait manifestement davantage que tout le monde perde son logement plutôt que de pouvoir conserver le sien.
Au prix d’un avis de droit, le conservateur du Registre foncier admit finalement que, sur la base du règlement, une majorité des deux tiers suffisait et le droit de superficie put être prorogé.
D’autres problèmes issus de la législation concernent les locaux à usage commun. En Suisse, dans la plupart des cas, une propriété est achetée avant d’avoir été construite, y compris dans les cas de PPE. S’ils constatent qu’il y a eu de la triche dans la construction, les propriétaires peuvent faire valoir les défauts de leur propre logis auprès du promoteur. Mais la loi sur les PPE ne dit pas clairement ce qui se passe en cas de défauts dans les locaux à usage commun, si par exemple l’ascenseur ne fonctionne pas.
Amédéo Wermelinger: «Chaque copropriétaire possède une part précise des parties à usage commun, ce qu’on appelle la quote-part. Si, au terme de la construction, l’ascenseur s’avère défectueux, un propriétaire de PPE ne peut en principe faire valoir ce défaut que pour sa propre quote-part à l’ascenseur.»
Recouvrer des dettes? Compliqué
Au sein de chaque PPE, les membres doivent payer des contributions pour l’administration, le fonctionnement et l’entretien de l’immeuble. «Il faut par exemple acheter du mazout, prévoir une installation photovoltaïque sur le toit ou payer le jardinier qui s’occupe des espaces verts communs.» Si chacun paie son écot, il n’y a pas de problème. Mais lorsqu’il y a défaillance, récupérer une contribution s’apparente aux travaux d’Hercule.
A vrai dire, la loi prévoit deux instruments: le droit de rétention ou le nantissement. Dans le cas du droit de rétention, la communauté des copropriétaires peut en tant que créancière saisir des objets mobiles, par exemple des meubles, dans les locaux du propriétaire retardataire. Ladite communauté doit alors lancer une poursuite sur la réalisation des biens saisis. Dans le cas d’un nantissement, ce ne sont pas les biens mobiles d’un copropriétaire négligent qui sont saisis, mais la PPE elle-même, autrement dit le logement.
«Mais récupérer des dettes à l’aide de l’un de ces instruments peut être très laborieux», nuance l’avocat. Car le débiteur peut tirer les choses en longueur et, dans l’intervalle, les autres copropriétaires doivent payer les contributions manquantes. «Ces instruments ne fonctionnent pas à satisfaction, estime Amédéo Wermelinger. Il faut imaginer des solutions permettant à la communauté de la PPE de récupérer l’argent plus vite et plus aisément.»
Opposition du Conseil fédéral
Le conseiller aux Etats PLR Andrea Caroni, d’Appenzell Rhodes-Extérieures, pense à son tour qu’il faut d’autres solutions. Il se souvient: «En tant qu’avocat, j’ai vu combien un copropriétaire défaillant pouvait pourrir la vie des autres.» C’est pourquoi il est intervenu en 2014 avec un postulat demandant au Conseil fédéral une révision du droit de la PPE. «Je trouvais qu’après une cinquantaine d’années, il y avait un sérieux besoin de mise à jour.» Mais le Conseil fédéral ne voyait pas les choses ainsi et rejeta son postulat.
En revanche, le parlement approuva la démarche, si bien que le gouvernement dut quand même se pencher sur l’affaire. En 2019, l’Office fédéral de la justice ordonna une expertise et ses auteurs conclurent à un net besoin de revoir la loi. Le projet de texte passe en consultation cet automne. Il faudra certes encore un peu de temps pour que de nouvelles règles voient le jour, mais le chemin est ouvert.