En matière d’évaluation immobilière, la qualité perçue des immeubles de bureaux est-elle principalement corrélée à leur emplacement central ? Cette problématique a fait l’objet d’une étude détaillée conduite par Fabrice Larceneux, Paul Andriot et Arnaud Simon, à l’Université Paris Dauphine.
Si l’heure est à la décentralisation de la politique du logement, la notion de « centralité » reste très présente dans nos représentations collectives et individuelles, qu’il s’agisse de la gestion des politiques, des pratiques urbaines ou même immobilières.
Fabrice Larceneux, Paul Andriot et Arnaud Simon, chercheurs au laboratoire Dauphine Recherches en Management à l’Université Paris-Dauphine PSL, se sont justement interrogés sur l’importance de la notion de centralité dans les estimations immobilières. Plus précisément, ils se sont demandé si la représentation que les experts se font de la qualité des immeubles de bureaux est liée à la centralité, c’est-à-dire à leur emplacement « central » par rapport aux QCA (quartier central des affaires, autour de St Lazard à Paris et à la Défense par exemple).
« Localisation, localisation, localisation” : ce proverbe immobilier est en fait un raccourcis mental biaisé de l’évaluation de la qualité
Il est ressorti de leurs recherches, notamment appuyées sur l’étude de cas du Grand Paris — le plus grand marché européen de bureaux en termes de mètres carrés — que les estimations faites par les professionnels de l’immobilier ressortent fortement biaisées par la représentation mentale très positive associée à la centralité. Même si les biens sont évalués à plusieurs dizaines de millions d’euros, les analystes ont ainsi tendance à se fonder sur la qualité de l’emplacement des biens dans leurs estimations, au détriment d’autres facteurs tout aussi importants, comme la qualité de la structure du bâti ou l’expérience de l’espace de vie.
Ainsi, dans les valorisations implicites des professionnels évaluateurs, la perception de la qualité globale d’un bien immobilier a tendance à diminuer à mesure que la distance aux quartiers centraux d’affaires augmente.
Le cas des bureaux de l’agglomération parisienne
En ce qui concerne les immeubles de bureaux du Grand Paris, l’étude démontre en détails qu’à mesure de leur proximité avec les grands centres d’affaires (La Défense, le Croissant Ouest et la petite couronne), les immeubles bénéficient de scores de qualité globale perçue élevés. Et la corrélation avec le centre est évidente : lorsque la distance de ces bâtiments avec les quartiers d’affaires s’allonge, leur qualité globale perçue diminue alors même que la qualité intrinsèque ne change pas.
D’une part, les auteurs avancent que cet accent mis sur la centralité provient en grande partie des difficultés à accéder à des informations détaillées sur la structure des bâtiments. C’est pourquoi ils se concentrent davantage sur les informations liées à l’emplacement du bâtiment comme indicateurs de qualité. C’est ce que les psychologues en économie appellent le biais de disponibilité. On ne peut fonder son jugement que sur des informations disponibles. Et le prix au m2 est souvent présenté par localisation, indépendamment de la qualité du bien. Cette qualité devient une variable d’ajustement à la marge. Or aujourd’hui, les informations sur la qualité intrinsèque des biens sont nombreuses et plus facilement accessibles. Il est important de réintégrer ces informations dans les équations au risque d’estimations financières de plus en plus décalées de la réalité du terrain.
Autre hypothèse participant à cette tendance : les investisseurs dans les immeubles de bureaux sont généralement convaincus qu’ils réussiront toujours à louer plus facilement leurs biens en raison de leur centralité. Et il s’agit dès lors d’un biais de confirmation qui est à l’œuvre car les propriétaires, eux aussi soumis à l’heuristique de centralité, ont tendance à surinvestir dans les travaux des biens centraux. En conséquence, puisqu’il existe un peu plus de biens de qualité élevée dans le centre, on va attribuer au centre des vertus de qualité intrinsèque qu’il n’a pas forcément.
Doit-on changer ces biais ?
Faut-il prendre conscience de ces biais et changer les procédures d’estimation ? Les auteurs de l’étude précisent que « dans un contexte où les considérations environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise sont de plus en plus présentes et où les améliorations de la qualité des bâtiments sont en partie dues à la réglementation, il est opportun et important de réexaminer le débat sur les poids respectifs des caractéristiques et de l’emplacement des bâtiments« . En substance, il faudra rapidement passer de proverbe « localisation, localisation, localisation » à « localisation, structure, expérience » pour intégrer plus directement la qualité des matériaux et la satisfaction des utilisateurs.
Ils poursuivent : « Le fait que de nombreux acteurs de l’immobilier s’appuient encore sur ces indicateurs d’évaluation biaisés pour prendre leurs décisions pourrait générer à termes d’importants risques dans l’analyse de la qualité réelle des actifs et les décisions urbaines, en partie à cause de ce biais de centralité. En effet, les professionnels de l’immobilier peuvent surévaluer ou sous-évaluer les prix et les loyers des biens immobiliers en omettant des informations fondamentales sur le sous-jacent. Les locataires peuvent être insatisfaits du niveau du loyer par rapport aux services offerts par le bâtiment, ce qui entraîne des critiques négatives et une réduction de la confiance avec des vacances locatives inexpliquées qui se profilent ». Les enjeux sociétaux, environnementaux et financiers imposent donc de renouveler les logiciels d’estimation immobilières !
Découvrez l’étude complète (anglais).
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