Les Nouvelles Publications : Pourquoi aborder l’enjeu du logement par le prisme du parcours résidentiel ?

Thierry Moallic : Le parcours résidentiel est la pierre angulaire de toute politique du logement. Il désigne le processus qui fait que, tout au long de la vie, une personne ou un ménage fait évoluer son habitat en déménageant pour répondre à ses besoins, changeant de type et de taille de logement, de localisation résidentielle et/ou de statut d’occupation.

Il suffit qu’un maillon de la chaîne du logement soit grippé pour que toute la chaîne se bloque.

Si les ménages ne parviennent plus à accéder à la propriété, ils sont contraints de se tourner vers le parc locatif… ce qui place évidemment ce segment sous tension. Si l’offre du parc locatif libre ne parvient plus à répondre à la demande, cela se répercute sur le parc locatif social, premier maillon de la chaîne…

Le parcours résidentiel doit être fluide. Tous les segments de l’offre de logements doivent être capillarisés, sinon cela dysfonctionne.

Quels sont les déterminants principaux du parcours résidentiel ?

On distingue cinq grands critères. Primo, les transitions familiales génératrices de décohabitations ; deuzio, l’emploi qui détermine votre lieu de résidence ; tertio, le niveau de revenus qui vous oriente vers tel ou tel type d’offre résidentielle ; quatrièmement, l’environnement familial et amical caractérisé par l’envie de rester près de ses proches ; cinquièmement, le cadre de vie, un enjeu plus subjectif qui englobe des sujets comme l’attractivité, l’accessibilité…

« Il faut aujourd’hui plus de logements pour satisfaire la demande », souligne le directeur de l’Adil 13. (Crédit : Christine Criscuolo)

Les parcours résidentiels sont-ils tous linéaires ?

Au fil du temps, la trajectoire résidentielle s’est diversifiée sous l’effet des évolutions socio-démographiques et des changements de mode de vie. L’automobile a permis de dilater le lien domicile-travail contribuant à la périurbanisation. Avec la crise sanitaire, l’essor du télétravail a changé la donne. La hausse des prix du carburant remet en cause cet éloignement.

L’évolution de la cellule familiale, marquée par la réduction de la taille des ménages et le vieillissement de la population, impacte la demande de logement. Même si la population ne s’accroît pas de manière exponentielle, il faut aujourd’hui plus de logements pour satisfaire la demande.

Il faut également tenir compte du niveau de revenus des gens. Dans les Bouches-du-Rhône, une grande partie de la population dispose de faibles ressources. Ces ménages précaires sont évidemment éligibles au logement social. La demande est donc de plus en plus protéiforme. Pour que les parcours soient fluides, l’offre de logements doit s’adapterqualitativement bien sûr, mais aussi quantitativement. En d’autres termes, l’offre doit être diversifiée et suffisamment importante.

Tous les acteurs de l’habitat sont unanimes : le logement est en crise avec une production en berne et une tension sur tous les segments de l’offre. L’Adil* confirme-t-elle ce diagnostic ?

Les indicateurs sont dans le rouge. Fin 2023, on recensait 105 000 demandes de logement social dans le département. Cent cinq mille, c’est un chiffre record à mettre en miroir avec les 10 000 attributions de Logements locatifs sociaux (LLS) effectuées l’an dernier. Le rapport est de un pour dix.

Cette tension exacerbée génère le mal-logement. Faute d’offre suffisante, vous avez à la fois de la suroccupation et de la sous-occupation : des familles précaires qui vivent dans des appartements trop petits et des personnes âgées qui vivent dans un grand appartement dont elles ne parviennent plus à payer le loyer quand les enfants sont partis.

« Chacun s’accorde pour dire qu’il faut lever un certain nombre de freins qui brident la construction », appuie Thierry Moallic. (Crédit : Christine Criscuolo)

La conférence sera l’occasion d’explorer des solutions pour sortir de l’ornière…

Un consensus existe sur le diagnostic. Les représentants des pouvoirs publics présents viendront présenter les stratégies qu’ils comptent mettre en place. N’oublions pas que la politique du logement n’est pas seulement nationale. Les collectivités jouent également un rôle très important localement.

Chacun s’accorde pour dire qu’il faut lever un certain nombre de freins qui brident la construction.

Il convient également d’explorer des solutions innovantes comme le coliving et la colocation… des modes d’habitat qui séduisent les jeunes mais qui sont encore relativement onéreux. Ces dispositifs doivent être démocratisés. Autre piste : le logement intergénérationnel, une solution adaptée au vieillissement de la population.

Le réchauffement climatique nous met évidemment au défi de produire différemment, en intégrant mieux les enjeux environnementaux. L’urbanisme participe à ce changement de paradigme avec la fin de l’urbanisation extensive. Une évolution incarnée par le ZAN (Zéro artificialisation nette) qui nous oblige à reconstruire la ville sur la ville en densifiant le bâti tout en intensifiant les usages avec la mixité fonctionnelle. Tout ce glissement pose la question de l’acceptation sociale. La solution passe par une concertation en amont des projets. Faire avec plutôt que contre !

A cette aune, il serait judicieux de renforcer la décentralisation des instances de concertation publique en créant des Comités locaux de l’habitat (CLH), sortes de déclinaisons territorialisées des Comités régionaux de l’habitat et de l’hébergement (CRHH). En ayant une focale moins large que celle des CRHH, ces CLH donneraient l’occasion aux acteurs locaux de véritablement participer à la supervision des politiques territoriales du logement.

* Agence départementale d’information sur le logement.

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