Yann Jéhanno est président de Laforêt. En cette fin d’année, il revient sur les difficultés qu’a traversées le marché immobilier et sur les prévisions pour le début 2025. Si elles semblent optimistes, l’instabilité politique et le risque de censure qui plane sur le nouveau gouvernement pourraient fragiliser davantage la filière et freiner la reprise de la dynamique observée cette fin d’année.
Affiches Parisiennes : Comment se porte le secteur immobilier aujourd’hui ? Comment votre entreprise a-t-elle traversé cette année un peu difficile ?
Yann Jéhanno : Nous avons débuté l’année 2024 avec beaucoup d’appréhension, dans un contexte particulièrement morose, marqué par trois phases distinctes. Le premier trimestre a conforté nos craintes, il a été assez calme et a peiné à démarrer. La situation était incertaine, même si quelques signaux nous laissaient entrevoir une amélioration. C’est ce qui s’est produit au deuxième trimestre, avec un retour progressif des acquéreurs sur le marché et une baisse des taux de crédit. Le taux d’intérêt moyen avait atteint son pic en décembre 2023 à 4,20 %, contre 3,37 % actuellement.
Progressivement, le marché a montré des signes de reprise, avec des vendeurs plus enclins à négocier leurs prix. Cependant, la dissolution et les élections législatives ont ralenti cette dynamique, propriétaires et acquéreurs entendant des propositions politiques divergentes concernant les droits de mutation, le DPE, l’encadrement des loyers, etc. En parallèle, les Jeux olympiques ont engendré une grande ferveur, mais l’activité immobilière des villes olympiques, notamment Paris, n’a pas été au beau fixe. À partir de la mi-août, les projets d’achat se sont relancés, les vendeurs ont accepté de nouvelles baisses de prix, et entre septembre et décembre, le marché a montré un regain d’activité. Nous arrivons en fin d’année avec une progression des volumes de ventes sous compromis de 7 % et nous débuterons l’année 2025 sur les mêmes bases.
N’est-ce pas étonnant vu l’instabilité politique et gouvernementale actuelle ?
En effet, la censure du gouvernement et l’instabilité politique sont deux facteurs qui pèsent sur le marché immobilier, un secteur reposant sur des investissements à long terme. Si cette instabilité persiste, elle pourrait freiner la reprise. De plus, si le gouvernement et le parlement ne parviennent pas à un consensus sur les textes pour 2025, cela risquerait de ralentir le rebond. Le budget 2025, qui ne sera présenté qu’au plus tôt mi-février, pourrait soutenir des initiatives favorables et accélérer la reprise du marché, notamment avec l’extension du prêt à taux zéro. Toutefois, il pourrait aussi introduire des mesures défavorables, comme une augmentation des droits de mutation. Nous abordons 2025 avec des fondamentaux de marché relativement solides, bien que ces risques demeurent, avec une visibilité encore limitée.
Le marché immobilier varie-t-il beaucoup entre Paris, l’Île-de-France et les régions ?
Plusieurs différences existent, la première étant due à la baisse des prix à Paris depuis deux ans et demi. On compte aujourd’hui 11 arrondissements sur 20 sous la barre symbolique des 10 000 € du mètre carré. On est en moyenne à 9 470 € du mètre carré, ce qui nous amène à un prix moyen similaire à ce que l’on a connu il y a six ans, en 2018. Les Parisiens ont retrouvé du pouvoir d’achat ainsi qu’une cohérence dans les prix et une hiérarchie plus marquée entre les arrondissements : ceux de l’Est parisien avoisinent les 8 000 € le mètre carré, ceux de l’Ouest parisien se situent autour 9 500 € tandis que les arrondissements centraux dépassent 11 000 €/m². Cela a redonné de la fluidité au marché. La demande a progressé de quasiment 20 % en un an, les ventes de 11 %, et les délais de vente se sont stabilisés, de même que les négociations. On voit beaucoup de métropoles suivre cet exemple, avec des baisses de prix de 2 à 5 % environ. En Île-de-France, les prix auront reculé de 7,9% en 2024, et cette tendance n’est probablement pas terminée.
Au sortir du Covid, beaucoup voulaient quitter les centres-villes, franchir le périphérique des différentes métropoles françaises pour aller de l’autre côté, trouver une maison individuelle ou un appartement avec extérieur. Cette tendance a eu un effet inflationniste, indiscutable. Aujourd’hui, celles et ceux qui achètent dans les banlieues des grandes métropoles sont majoritairement des locaux. Or, dans ces territoires, les prix n’ont pas toujours suffisamment diminué. Et si on regarde le reste de la France, les réalités sont beaucoup plus disparates entre les grandes villes, leur périphérie et les environnements semi-ruraux ou ruraux. Nous sommes toujours dans une dynamique de baisse généralisée des prix, ce qui est paradoxal, car selon notre point de marché, ils ont reculé de 3,6 % sur un an à fin décembre, contre 4,5 % à fin septembre. À mesure que les transactions immobilières reprennent, la baisse des prix s’étend, mais à un rythme plus lent. Nous constatons également que les négociations sur les prix se généralisent, touchant désormais neuf logements sur dix, à l’exception des biens parfaits ou rares.
En Île-de-France, la baisse des prix atteint presque 8 %. C’est très significatif ?
C’est important, mais cela ne semble pas encore suffisant, notamment pour les maisons individuelles. Même si l’inflation semble se stabiliser autour de 2,4 %, la maison, qui reste le rêve d’une majorité de Français, demeure coûteuse. L’achat d’une maison nécessite un budget plus élevé que celui d’un appartement. Elle engendre également des frais d’entretien plus importants et est souvent située en périphérie, ce qui oblige les ménages à posséder une deuxième voiture, voire une première. Cet enchevêtrement de coûts pousse de plus en plus de Français à se détourner de ce type de bien. Lorsque les prix deviendront plus raisonnables, une plus grande fluidité devrait se rétablir, notamment en Île-de-France.
Le réseau Laforêt se porte-t-il bien dans ce contexte ? Quelle est votre stratégie de développement, actuellement ?
Nous sommes dans une situation bien meilleure qu’en janvier 2024, c’est indéniable. Au début de l’année, nos appréhensions étaient nombreuses. Nous sommes un réseau mature, fort de 720 points de vente, qui a fêté ses 33 ans le 15 octobre dernier. Notre développement repose d’une part sur le renouvellement des franchisés arrivant à l’âge de la retraite, via la reprise des agences existantes, et d’autre part sur la conquête de 300 nouvelles implantations.
Nous envisageons et nous planifions de recruter 70 nouveaux franchisés en 2025. La moitié aura vocation à reprendre des points de vente qui seront cédés et l’autre moitié à nous implanter sur de nouvelles communes. Notre troisième axe de développement est la consolidation de chaque point de vente avec la diversification de nos métiers. Aujourd’hui, nous en exerçons quatre : la vente, la location, la gestion locative et le syndic de copropriété. Nous essayons, depuis quelques années, de faire en sorte que chaque agence réalise le parfait équilibre de ses chiffres d’affaires entre la vente et les métiers de l’administration de biens.
Cela offre une véritable stabilité lorsque le marché de la transaction est moins dynamique, tout en permettant de profiter de ses opportunités lorsque les conditions sont favorables. Aujourd’hui, 25 % de nos agences immobilières sont dans cet équilibre, 25 % devraient y parvenir d’ici la fin de l’année 2025 et 50 % sont des franchisés que l’on doit accompagner dans le développement de leurs entreprises pour équilibrer leurs sources de revenus.
Le marché de l’immobilier de luxe se porte-t-il bien ?
L’immobilier de luxe n’est pas un segment sur lequel nous nous positionnons, car notre stratégie se concentre sur des segments de marché plus accessibles. En revanche, nous avons l’intention de nous positionner sur le segment intermédiaire, allant de 700 000 euros en milieu rural à 4 millions d’euros en milieu urbain. Ce marché sera abordé dès le second semestre de 2025, avec une déclinaison de notre marque, de nos points de vente, de nos concepts et un service client adapté. Nous sommes convaincus de notre légitimité sur ce créneau, forts de notre image et de notre expérience.
Quel est votre pronostic sur les taux d’intérêt ? Y a-t-il une tendance à la baisse ?
Oui, puisque la Banque centrale européenne a récemment annoncé sa quatrième baisse consécutive de ses taux directeurs. En un an, le taux moyen d’un crédit immobilier est passé de 4,20 % à 3,37 %. Cette tendance devrait se poursuivre, les taux d’intérêt continuant de se modérer. Toutefois, il est peu probable que nous revenions à des niveaux aussi bas que 1 %, comme à la fin de l’année 2021. Le gouverneur de la Banque de France considère que des taux de crédit immobilier entre 3 et 4 % constituent une norme raisonnable. La trajectoire actuelle pourrait permettre de passer sous la barre des 3 %, mais il ne faut sans doute pas s’attendre à une baisse plus significative.
En ce qui concerne le marché du neuf ?
La situation est très préoccupante. La construction a pris de plein fouet les nouvelles normes environnementales, l’inflation des matériaux et de l’énergie, la hausse des taux, etc. Dans le neuf, il s’écoule plusieurs années entre l’acquisition d’un terrain et la livraison d’un immeuble. Les promoteurs ayant acquis du foncier à des prix élevés au cours des dernières années ont tous été affectés. Beaucoup ont mis la clé sous la porte, tandis que d’autres sont contraints à des plans sociaux et réduisent leurs activités. L’immobilier neuf est aujourd’hui dans une impasse totale et mettra probablement des années à se redresser.
Avez-vous un message à faire passer au nouveau gouvernement ?
Depuis plusieurs mois, l’instabilité politique prévaut, avec des gouvernements dont la durée est devenue extrêmement courte, ce qui est incompatible avec le secteur du logement qui a besoin de temps long. Plutôt que de se concentrer sur la question de savoir qui sera le prochain ministre du Logement, ou s’il exercera un mandat de plein exercice ou non, il serait plus pertinent de s’attarder sur l’essentiel : la mise en place d’une véritable loi Logement capable de relancer l’accès au logement pour les Français, qu’il s’agisse du logement social, du parc locatif privé ou de la primo-accession.
C’est un enjeu majeur pour nos concitoyens. Un autre sujet crucial doit être abordé en urgence : l’indécence énergétique des logements énergivores. Nos gouvernants doivent impérativement parvenir à un consensus pour légiférer et revoir rapidement le calendrier de rénovation énergétique, ainsi que les ressources et le dimensionnement de la filière nécessaires pour relever ce défi. En résumé, j’appelle à l’adoption d’une loi Logement qui permette de relancer notre secteur et d’éviter de freiner le redressement que nous avons observé ces derniers mois.
Sur les logements classés G, pouvez-vous nous rappeler les contraintes à venir à partir de janvier 2025 ?
À partir du 1ᵉʳ janvier 2025, un logement classé G ne pourra pas être reloué à la sortie du locataire précédent tant que des travaux de rénovation n’auront pas été effectués, étant considéré comme indécent. À l’échelle nationale, 600 000 logements sont concernés, ce qui, dans un contexte de crise du logement, représente un parc immobilier considérable. Bien sûr, nous soutenons la rénovation énergétique des logements existants. Cependant, le calendrier et les moyens actuellement proposés ne sont pas adaptés.
Depuis un certain temps, nous demandons à être associés à une réflexion pragmatique pour définir un calendrier réaliste, soutenu par une filière d’entreprises qualifiées, et des pouvoirs publics investis. Il s’agit d’un enjeu essentiel et déterminant. La lutte contre le bouleversement climatique est incontestable, mais elle doit se faire tout en garantissant aux Français l’accès au logement. Ces deux impératifs sont indissociables et doivent avancer de front.