«Je suis ingénieur en informatique». Accoudée à une table haute, un cocktail à la main, Josephine Wright répond avec entrain à son interlocutrice dans un bar de l’ouest de Londres. Le but de la rencontre, lui, est très sérieux: trouver la colocataire idéale. Pas un seul homme en vue: cet événement réunit une soixantaine de participantes qui ont payé 7,50 livres (près de 9 euros) dans l’espoir de résoudre le casse-tête que constitue souvent la recherche de logement dans la capitale britannique.

En groupe ou en tête-à-tête, chacune se plie au jeu des questions-réponses. Ni fioriture ni perte de temps, on aborde les quartiers de prédilection, professions, origines, loisirs. Il faut être efficace, parler au plus grand nombre en deux heures. Malgré la pression du temps, l’ambiance est décontractée, et les rires fusent pendant que les shakers s’agitent au bar. Josephine Wright, 25 ans, liste ses trois quartiers prioritaires, «Greenwich, Walthamstow et Lewisham», à une autre participante près d’un panneau «East», pour est de Londres, où elle souhaite vivre. Toutes les deux portent un bracelet bleu: elles cherchent des colocataires, plutôt qu’un logement en soi. Moins nombreuses sont celles qui portent un bracelet violet indiquant qu’elles louent déjà un logement et cherchent à le partager.

Un loyer qui pèse 40% des revenus

Résultat: ce mode de vie autrefois associé aux étudiants a gagné les jeunes actifs, bien plus nombreux qu’il y a 15 ans à y avoir recours, relève Antonio Mele, professeur à la London School of Economics. «Ce phénomène est nouveau», explique cet expert, mettant en cause le manque de logements qui fait bondir les loyers. Cette crise s’explique notamment par des normes strictes s’appliquant à la construction de bâtiments neufs, que le nouveau gouvernement travailliste veut assouplir, ainsi que par le développement des locations touristiques.

Vivre à Londres vaut bien quelques sacrifices pour beaucoup de jeunes actives. Crédit Photo : HENRY NICHOLLS/AFP

Bien des participantes n’ont toutefois pas les moyens de louer, seules, un appartement à Londres même avec des budgets en apparence confortables atteignant 1500 livres par mois (1750 euros). «Si vous voulez un appartement en entier, c’est en gros entre 1500 et 1800, voire 2000 livres par mois», soit entre 1750 et 2300 euros, constate Ioanna, une stagiaire grecque de 22 ans. En colocation, on trouve des chambres sous les 1000 livres. En moyenne, les ménages consacrent déjà près de 40% de leurs revenus à leur loyer, selon Antonio Mele, qui s’attend à de nouvelles augmentations dans les prochaines années.

Partager les frais devient la seule solution. D’où une ruée vers les colocs qui peut virer au cauchemar. «Vous envoyez beaucoup de messages et vous ne recevez pas beaucoup de réponses», explique Megan Brewer, 35 ans. Tirant parti de l’engouement, certains propriétaires n’hésitent pas à transformer les salons en chambres ou à diviser les chambres en plusieurs pièces. «Ce qui est présenté comme une chambre serait considéré comme un débarras dans n’importe quel autre pays d’Europe», estime Antonio Mele. «On se retrouve avec des chambres sans fenêtre, où seul le lit peut y entrer, et proposés pour des sommes folles».

Rachel Moore et Mia Gomes, les fondatrices de Girlies Guide, sont passées par là avant de lancer leur «speed dating» de colocs. «Quand on a visité des logements, les propriétaires nous ont dit avoir reçu 30 autres groupes le même jour, alors que l’annonce n’était parue que depuis un jour ou deux», raconte Mia. Mais pour beaucoup, vivre à Londres, avec ses opportunités professionnelles et son animation, vaut bien quelques sacrifices. «Je vais devoir réduire mon épargne, mais je pense que c’est un bon compromis», concède Josephine. «J’ai la vingtaine, je veux vivre ma meilleure vie».

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