La portabilité et la transférabilité des prêts immobiliers sont parfois évoquées pour permettre une sortie rapide de la crise qui paralyse les marchés depuis plus de quatre ans. Pourtant, le redémarrage actuel du marché des crédits et la remontée du marché de l’ancien qui s’est amorcée ont changé la donne, depuis plusieurs mois déjà. Analyse de Michel Mouillart.


Mais qu’importe, la boîte à outils qui regorge déjà de propositions est suffisamment grande pour accueillir deux nouveaux entrants. On y trouve évidemment la fameuse baisse générale des prix de l’immobilier (neuf et ancien) qui aurait dû redynamiser automatiquement les marchés, comme la Banque de France a pu le laisser croire ; la nécessité de restructurer un appareil de production (constructeurs, promoteurs, commercialisateurs, gestionnaires, …) inadapté aux exigences nouvelles de la « start up nation » voulue au plus haut de l’Etat ;  ou encore l’impérieuse nécessité de lutter contre cet ennemi invisible mais « très dangereux » pour la stabilité du système bancaire français, le supposé et très médiatique surendettement immobilier des ménages.    

Néanmoins, et comme pour la plupart de ces idées « nouvelles », peu (voire pas) d’études d’impact sont proposées à l’appui d’une présentation trop souvent sommaire de ce que pourraient apporter la portabilité et la transférabilité. Afin de savoir, par exemple, combien de ménages seraient concernés, quelles conséquences à court et à moyen terme sur l’appareil de production et les marchés, quel effet sur un secteur bancaire bousculé par plusieurs années de crises économiques et sanitaires… Mais qu’importe au final, si les deux mesures donnent vraiment les clés de la reprise !  

La portabilité d’un prêt pour un emprunteur

« Afin de prévenir une hausse des taux d’intérêt qui commence et préserver le pouvoir d’achat, nous proposons de réintroduire dans les nouveaux contrats de prêt, la portabilité et la transférabilité du prêt pendant une durée de dix ans ». Dans sa contribution au Groupe « Redynamiser l’accession à la propriété » du Conseil National de l’Habitat, en juin 2023, la FNAIM reprenait la proposition formulée par Loïc Cantin (en mai 2022) lors de sa campagne pour la présidence de cette fédération professionnelle. 

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La portabilité d’un prêt consisterait à permettre à un propriétaire s’engageant dans un nouvel achat à la suite de la revente de son bien immobilier actuel de conserver les mêmes conditions de crédit que celles qui lui avaient été faites par la banque lors du financement du bien actuellement revendu. Il ne s’agirait cependant pas d’obtenir un nouveau prêt aux conditions de celui qui est en cours. Mais cela permettrait de garder le taux du prêt initial : ce qui, à l’extrême et pour des prêts à 30 ans ou plus, reviendrait à accorder des prêts dont les conditions seraient conservées « tout au long de la vie » d’un ménage ! Et aussi, par exemple, de ne pas avoir à supporter les pénalités de remboursement anticipé éventuellement prévues dans le contrat de prêt initial (et déjà fortement plafonnées par la règlementation actuelle, au regard de la pratique des principaux partenaires européens).

Cette « nouvelle » portabilité ne concernerait évidemment que les prêts dits « non réglementés », puisque concernant les prêts réglementés (PTZ, PAS, PC et épargne-logement), une telle possibilité existe déjà sous réserve de l’accord de la banque les ayant octroyés et du respect des éventuelles conditions de leur bénéfice, même si elle est peu mise en œuvre compte tenu de la lourdeur des dispositions prévues à cet effet. Elle nécessiterait bien sûr l’accord de toutes les parties concernées : le prêteur initial et l’assureur ; mais aussi l’organisme de caution ayant accordé la garantie lors de l’octroi du prêt initial. Et dans le cas d’un prêt garanti par une hypothèque (moins du tiers de la production de crédits immobiliers), il conviendrait de prévoir un nouvel acte notarié (et les frais afférents à la charge de l’emprunteur) du fait du changement de garantie et de l’inscription de la nouvelle garantie ! 

Il n’est pas certain et loin s’en faut que cette proposition consiste en une bonne idée, en période de cycle baissier des taux tel celui qui s’est amorcé dès janvier 2024. D’autant que la contrainte imposée par le taux d’usure pourrait risquer de mordre sur l’ancien taux pratiqué : tel serait le cas, par exemple, en période de fluctuation des taux.

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En outre, les conséquences financières de la mise en œuvre de la portabilité sur l’équilibre économique des banques françaises ne doivent pas être négligées. Le montage et la complexification des dossiers ont un coût, comme cela est vrai pour n’importe quelle activité économique (les promoteurs, les constructeurs de maisons individuelles, les gestionnaires de patrimoine, les agents immobiliers, …), et il faudrait sans aucun doute les répercuter sur les nouveaux emprunteurs qui supporteraient donc les conséquences (une augmentation des taux) de cette « rente de situation », comme certains l’auraient qualifiées en d’autres domaines : ou bien on considère que cela n’a pas à être et que les banques « paieront », risquant de les fragiliser un peu plus dans un secteur particulièrement concurrentiel (au niveau international, notamment). En outre, on peut craindre que face à un risque d’allongement de la durée des engagements des banques lors de l’octroi de nouveaux prêts, le régulateur estime que la couverture des risques doit être renforcée, entraînant une augmentation supplémentaire des taux des crédits immobiliers : pour simplifier, le changement du modèle de financement de la production nouvelle présente aussi un coût, du fait de l’allongement de la portabilité actuelle des prêts (de l’ordre de 8 années, en raison de la « mobilité » des emprunteurs : divorce, changement de région, agrandissement des familles, …) imposée par la mise en œuvre de la portabilité (une durée pouvant potentiellement aller jusqu’à 25 ans) !   

Sans oublier que rien ne serait réglé face aux difficultés actuelles d’accès au crédit immobilier (le rationnement du crédit immobilier voulu par la Banque de France et le ministère de l’Economie), puisqu’il est peu probable que le capital restant dû du prêt porté soit suffisant pour financer le nouveau bien. Sauf, évidemment, si la pratique se répandait de la vente de biens spacieux et chers pour acquérir des logements de plus faible surface, de moindre qualité et moins chers ! Ce qui en soit ne risquerait pas d’être considéré comme un progrès. 

Compte tenu de toutes ces considérations et en l’absence d’une étude d’impact, le Groupe du Conseil National de l’Habitat n’avait pas retenu la portabilité parmi ses propositions présentées en septembre 2023. Ni d’ailleurs la transférabilité des prêts ! 

La transférabilité d’un prêt du vendeur à l’acheteur

La transférabilité des prêts consiste à lier le prêt au bien financé et non plus à l’emprunteur, comme cela est le cas pour les deux tiers des achats immobiliers (les biens financés par des prêts bénéficiant d’une caution solidaire accordée par une société financière, et non par une garantie hypothécaire). Le solde du prêt antérieurement souscrit est alors à la charge de l’acquéreur du bien immobilier qui sera ainsi (et en partie) financé suivant un modèle de cession de dette, si la clause de transférabilité figurait dans l’offre de prêt initiale.

Cette faculté qui relève du domaine contractuel est déjà prévue par la Code de la consommation (Article L313-25 modifié par loi n° 2019-486 du 22 mai 2019) faisant état « des conditions requises pour un transfert éventuel du prêt à une tierce personne ». 

Il convient en effet pour l’organisme bancaire concerné de suivre les mêmes procédures de contrôle et de vérification que lors de la mise en place d’un crédit à un nouveau client. Et pourtant la banque concernée devrait « accepter » d’accorder les mêmes conditions financières au nouvel emprunteur que celles qui avait été négociées avec le précédent, alors qu’entre-temps l’environnement a pu se modifier plus ou moins profondément (conditions de refinancement de la production, règles prudentielles imposées, transformation du marché immobilier et du bien concerné, …) et que le nouvel emprunteur va appartenir à une classe de risques probablement différente (solvabilité du client, exposition au risque de chômage, …). Et il n’est pas inutile de rappeler, quitte à le répéter, que dans la pratique des banques françaises (compte tenu du modèle français de financement du logement), le taux des crédits octroyés est défini « au cas par cas », selon les caractéristiques de l’emprunteur (sa situation personnelle et patrimoniale, sa capacité de remboursement et l’analyse de son projet) : à la différence de la pratique rencontrée dans d’autres pays, le taux n’est donc pas déterminé en fonction du bien financé (localisation, qualité, caractéristiques, …).  

De plus, le « nouvel » emprunteur devra obtenir une garantie personnelle (une caution solidaire) ou le transfert de la garantie hypothécaire précédente auprès de son notaire. Sans oublier l’assurance emprunteur, évidemment. 

Rien n’est donc forcément aussi simple que souvent évoqué, d’autant que le « nouvel » emprunteur devra presque toujours obtenir un prêt complémentaire …  

Et beaucoup de questions en suspens

Même si les deux mesures « nouvelles » ont souvent été présentées comme capables de débloquer le marché de l’immobilier résidentiel (tel est notamment le point de vue des Notaires du Grand Paris), il n’est guère certain qu’elles permettent vraiment de réduire le coût du crédit et de favoriser rapidement la fluidité du marché. Qu’il s’agisse des crédits en cours pour lesquels la loi ne peut pas grand-chose s’agissant de contrats ; ou des futurs crédits, en l’absence d’un cavalier législatif prenant place dans le projet de loi relatif au « développement de l’offre de logements abordables » qui devrait être présenté au Sénat en juin prochain, puis au Parlement en septembre. 

Bien sûr, le député de Seine Maritime Damien Adam a déposé le 2 mai dernier une proposition de loi (n° 2583) « visant à généraliser la clause de portabilité aux offres de prêts immobiliers ». Elle vise à accompagner le 8° de l’article L313-25 du Code de la consommation, en insérant un 8° bis ainsi rédigé : « l’emprunteur peut maintenir les conditions du prêt accordé en cas de vente du bien immobilier pour l’achat d’un bien immobilier tiers ». 

Partant du constat par ailleurs largement partagé suivant lequel « la difficulté d’obtention de prêt immobilier entraîne en conséquence un blocage significatif de l’ensemble du marché de l’immobilier : les vendeurs ne parviennent plus à vendre, et les acheteurs à acquérir », il propose de rendre, à l’avenir, obligatoire la transférabilité des prêts (« le débiteur a donc l’obligation de permettre à son emprunteur de recourir à la portabilité du prêt immobilier »). Mais là encore, ne pouvant s’appuyer sur une étude d’impact préalable, il reprend quelques constats factuels régulièrement partagés depuis quelques années : une hausse des prix de l’immobilier rendant la réalisation des projets trop difficile à réaliser, des taux des crédits élevés ou la difficulté à obtenir des crédits immobiliers. Sans toutefois avoir mentionné la hausse des taux des crédits consécutive au changement de stratégie de la BCE ou la mise en œuvre de la recommandation du HCSF visant à resserrer l’accès au crédit immobilier. Ou sans avoir proposé, par exemple, de baisser les prix de l’immobilier par une action sur les coûts de production des logements neufs ou sur les frais d’acquisition des logements anciens. Mais comme là n’est certainement pas le fond du problème, il est dommage qu’une fois encore les conséquences d’une telle proposition n’aient pas été envisagées !

Car rendre obligatoire la possibilité de transfert d’un prêt immobilier (comme d’ailleurs sa portabilité) présente un risque non négligeable, voire majeur, pour le modèle français de financement du logement, réputé par ailleurs être l’un des plus protecteur pour les emprunteurs ! Alors que son efficacité et sa solidité sont régulièrement saluées par l’autorité nationale de contrôle des banques, l’ACPR, le rappel de ses spécificités suffit à montrer en quoi le modèle français est différent des autres, même (et surtout peut-être) au niveau européen : des taux fixes sur l’ensemble de la maturité du prêt, la garantie de la majorité des prêts par un système de cautionnement et une évaluation de la solvabilité de l’emprunteur basée sur l’analyse de ses revenus et non sur la valeur de son bien immobilier … Tout cela faisant que la France a par exemple traversé la crise des « subprimes » sans désastres majeurs, alors que ses partenaires européens (notamment) ont dû gérer une crise exceptionnelle ; sans oublier que la hausse des taux des crédits consécutive aux décisions prises par la BCE au printemps 2022 n’a pas eu, en France, de conséquences sur le coût et/ou les conditions de remboursement de la dette immobilière des emprunteurs et les 9 millions de ménages concernés.

Rendre obligatoire la transférabilité reviendrait en effet à remettre en cause l’équilibre du modèle français (pour les mêmes raisons que celles mentionnées à propos de la portabilité) puisqu’afin de ne pas dégrader leur rentabilité, les prêteurs devraient augmenter les taux fixes. Ou plus probablement (pour « faire jouer » la concurrence) généraliser les offres à taux variable : avec des conséquences redoutables pour les emprunteurs en cas de retournement de la courbe des taux.    

Et au final, il n’est pas certain que le résultat obtenu soit celui qui est escompté. Surtout que les « heureux » bénéficiaires de cette nouvelle formule devraient recourir à un prêt complémentaire dont les conditions reflèteraient presque sûrement les contraintes de l’équilibre économique que la « nouvelle » transférabilité aurait bouleverser dans la plupart des banques. 

Aussi, il conviendrait d’être très prudent dans la mise en œuvre de cette « nouvelle » transférabilité. Surtout en l’absence d’une véritable étude d’impact en chiffrant précisément les avantages et les inconvénients. Car sur un marché fragilisé par tant d’années de crises (tant du côté de la demande de crédits que de celui des établissements bancaires) et d’absence de volonté publique d’éviter une récession sévère, la reprise qui se dessine déjà n’a certainement pas besoin d’un nouveau « coup de Jarnac ». Sauf bien sûr, si l’objectif finalement recherché est celui de l’enracinement des marchés dans cette récession salvatrice que beaucoup de décideurs semblent avoir appelé de leurs vœux. Et dans ce cas, quoiqu’il en soit, une chose est sûre : le responsable qui sera pointé, à tort et comme toujours, sera à coup sûr la banque ; cela permettant évidemment d’affranchir de toute responsabilité les décideurs politiques et les autorités monétaires françaises. 

Michel Mouillart

Michel Mouillart est Professeur émérite à l’Université et FRICS (Fellow de la Royal Institution of Chartered Surveyors). Il est Docteur d’Etat en Economie et Docteur sur travaux en Economie et Financement du Logement.

L’essentiel de son action dans le secteur du logement a consisté en la réalisation d’études et de recherches sur le secteur de l’immobilier résidentiel. Il a ainsi mis en place ou contribué au développement de nombreux observatoires qui ont trouvé leur place dans le système d’informations sur le logement privé en France. Il assure la direction scientifique de ces observatoires : les crédits aux ménages (Fédération Bancaire Française) depuis 1989, les loyers du secteur locatif privé (CLAMEUR) de 1998 à 2019, la production de crédits immobiliers aux particuliers (Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers) depuis 1999, l’accession à la propriété (Institut CSA) depuis 1999, l’Observatoire Crédit Logement/CSA depuis 2007 et l’Observatoire LPI sur les prix des logements neufs et anciens depuis 2011.

En tant que personnalité qualifiée, il a été nommé et il siège au Conseil National de l’Habitat depuis 1990. Il a ainsi été Président de nombreux groupes de travail du Conseil National de l’Habitat, dont récemment le groupe « Redynamiser l’accession à la propriété » (2023). Il avait aussi été rapporteur des « Rencontres ConstructionAménagement du Territoire » de l’Assemblée Nationale de 1989 à 2001.

Par ailleurs, et toujours en tant que personnalité qualifiée, il a été membre du Conseil National de l’Information statistique (1991-2000), de la Commission des Comptes du Logement 1992-2014) et de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (2006-2013). De même, il a été Administrateur de l’Office HLM de la ville de Nanterre (1983-2014) et de la Fédération Nationale Habitat et Développement (2008- 2015).

Depuis 2010, il est membre du Conseil de Développement du Pays de Brest, toujours en tant que personnalité qualifiée. Et depuis 2015, il est administrateur de SOLIHA-Finistère.

Auteur régulier de nombreux articles dans des revues scientifiques ou professionnelles, il a publié ou participé à la publication de nombreux ouvrages sur l’économie et le financement du logement.

Il est par ailleurs Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite.

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