Les Nouvelles Publications : Pour quelles raisons avez-vous été invité par le Ceser Provence-Alpes-Côte d’Azur pour évoquer les racines de la crise du logement, mais aussi les solutions à y apporter ?

Didier Bertrand : Le 13 mai, à l’invitation de Marc Pouzet, le président du Ceser Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Claude Tartar, le président de sa commission Aménagement et développement du territoire, j’ai pu m’exprimer pendant plus de deux heures devant une quarantaine de membres de cette commission et de quelques élus. Ces derniers voulaient avoir un état des lieux de la situation, en 2024, du logement en France et dans notre région.

J’ai préparé cette intervention pendant une dizaine de jours en consultant et analysant différentes sources disponibles, comme l’Insee, les chiffres du laboratoire du logement de la Fnaim, les études des sites portails, de l’OIP, etc.

J’ai pris la parole en tant que président de la Fnaim régionale, agent immobilier depuis 2007 et conférencier en immobilier. Lors de cette audition, Marc Raspor, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers Côte d’Azur-Corse a aussi pris la parole.

Quelle réaction avez-vous eue en analysant ces données ?

J’ai mal au logement pour les Français. Même si, de par ma profession, je connais la réalité du logement aujourd’hui, cette analyse des chiffres m’a déconcerté. On en est là aujourd’hui ! On sait depuis longtemps qu’il y a un sujet sur le logement, on a les solutions et il ne se passe rien, alors qu’avoir un toit appartient à la pyramide de Maslow, et est inscrit dans notre constitution. Quel gâchis, j’ai envie de dire. De qui se moque-t-on ?

Pour comprendre les racines de cette situation, il faut se poser la question : a qui cette situation profite-t-elle ? Le logement est devenu un objet politique et l’otage des politiques.

Selon vous, il n’y a pas de volonté politique suffisante pour répondre à cette crise du logement ?

Le logement est une industrie lourde, qui s’inscrit dans un temps long, contrairement au temps politique, rythmé par les élections, donc plus court. Un exemple : ces sept dernières années, nous avons connu cinq ministres en charge du logement. Quelle stratégie sur le long terme ont-ils pu mettre en place ? La question du logement n’est pas considérée à sa juste importance. Pourtant, l’immobilier et le logement se retrouvent au centre de tout : du travail, de la santé, de la vie sociale et familiale, de la mobilité, de l’éducation, de l’économie…

Bien entendu, il y a eu des causes endogènes et exogènes qui expliquent cette crise du logement : la Covid-19, le pouvoir d’achat qui a été affaibli en raison de l’inflation, la hausse du coût des matériaux, le difficile accès aux prêts, avec des taux d’intérêt en hausse… On peut aussi y associer la vision du chef de l’Etat, qui envisage le logement comme une rente, non productive pour l’économie et qui a réorienté les actifs vers la bourse. Il ne faut pas oublier qu’un euro investi dans le logement en rapporte 1,67 ou 2 et que les emplois créés dans le bâtiment notamment ne sont pas délocalisables.

Ils rapportent directement au territoire. Une des causes plus anciennes de cette crise est à trouver dans le nombre de logements produits en France chaque année qui reste insuffisant : le besoin est estimé entre 400 000 à 500 000 logements, alors qu’on en a réalisé en 2023 seulement 300 000. Ce trou dans le neuf annonce la crise dans l’ancien de demain. On peut aussi penser aux empilements de normes et à leurs perpétuelles évolutions…

(F. D) – Le besoin en logements est estimé entre 400 000 à 500 000 par an en France.

Vous dressez un tableau bien sombre…

Plus rien de fonctionne. Tout le parcours résidentiel est bloqué. Il faut un choc de l’offre. On l’entend depuis sept ans, mais on l’attend toujours. On est face à une crise de l’offre, une crise de la demande, une crise du financement et une crise de la construction. On a empilé les quatre crises l’une sur l’autre. On en est là… Résultat, la France compte 330 000 SDF, 2,6 millions de ménages en attente d’un logement social, 16 % d’étudiants qui renoncent à leurs études faute de logement, 3 millions de logements vacants et 4,2 millions de Français mal logés.

Quelle est la situation pour notre région ?

Elle est également touchée, à la même hauteur que le reste de la France, sinon plus… Notre région est un laboratoire en matière d’immobilier et de logement, puisqu’on y retrouve toutes les catégories du marché du logement. Notre région est aussi un territoire qui attire beaucoup et connaît une forte activité touristique, avec de nombreuses résidences secondaires et un fort tropisme chez les retraités et actifs. Il faut trouver à loger à tout ce monde, sans compter les besoins des populations de la région.

Pouvez-vous dresser un rapide état des lieux régional ?

Nous comptons 3 millions de logements, pour 17 % de résidences secondaires et 7,4 % de logements vacants. Notre habitat est majoritairement collectif : 56,5 % des résidences secondaires sont des appartements. Notre région dispose de 250 300 logements HLM, soit seulement 11,4 % des résidences principales, contre 14,6 % en France. Avec 54,5 % de ménages propriétaires de leur résidence principale, notre région est la 3e région de France où l’accession à la propriété est la plus faible. Dans les Bouches-du-Rhône, seulement 51 % des ménages sont propriétaires.

(A-Z) – Didier Bertrand a formulé des propositions pour essayer de résoudre la crise du logement.

Quelles solutions avez-vous avancées lors de votre audition devant les membres du Ceser ?

Dans le document présenté devant les membres de cette commission du Ceser, j’ai pu formuler 58 propositions. Remettons tout d’abord les priorités dans l’ordre : se loger, bien se loger et se loger « vert ». Ensuite, il y a des propositions à court terme en matière d’urbanisme et de relance de la construction, de relance du logement social, du logement intermédiaire, de fiscalité, d’investissement immobilier…

Pouvez-vous détailler quelques mesures que vous avancez ?

Depuis la Covid, le secteur de la promotion immobilière et de la construction est confronté à un allongement des délais administratifs. Il y a une nécessité de les réduire, de simplifier les actes et de numériser les procédures. Le statut du bailleur privé est à créer. L’objectif est de lui permettre de mieux gérer et entretenir son ou ses biens. Je rappelle que les bailleurs privés sont majoritairement des ménages qui ont investi leurs économies dans un appartement, pour y vivre, ou pour le louer et avoir ainsi un apport de revenu.

Les bailleurs sociaux ont besoin également d’un grand plan Marshall pour les aider à financer leurs projets de construction et de rénovation, notamment énergétique. Ils attendent aussi qu’on leur débloque du foncier. Un état des lieux des fonciers disponibles, ceux appartenant à l’Etat notamment doit être fait.

Une de mes propositions consiste à créer des avantages fiscaux pour les propriétaires qui réalisent des travaux permettant le maintien à domicile des aînés. Dans notre région, c’est un vrai sujet. Là aussi, cette mesure répondrait à un besoin social, s’occuper de nos aînés, et apporterait de l’activité économique aux entreprises artisanales du bâtiment. On doit aussi permettre aux maires de densifier certains secteurs et d’élever les bâtiments, ou alors d’occuper des dents creuses.

Je propose aussi la création d’une Banque publique de la rénovation. L’enjeu de la rénovation des logements est colossal. Il y a une nécessité de remettre aux normes de très nombreux logements, de rendre plus simples les procédures, de revoir les aides. Si on y arrive, des logements reviendront sur le marché et cette activité profitera au bâtiment.

Il y a eu dernièrement une remise en question forte de la loi SRU par les maires, à la suite des annonces de Gabriel Attal. Quel regard portez-vous sur cette dernière ?

Il y a une nécessité de revoir la loi SRU, en fixant de nouveaux objectifs, et de revenir aux fondements. Le « maire bâtisseur » est devenu un gros mot, mais un maire bâtisseur est un élu qui va permettre à sa commune de se développer en répondant aux besoins de sa population, des familles, des actifs, des personnes âgées, des entreprises…. On doit donner des incitations financières aux maires qui accordent des permis de construire, en lien avec les besoins de logement. De cette façon, cet argent sera réinjecté dans l’économie.

Et maintenant ?

Des élus de la région veulent me revoir pour discuter plus en détails des propositions avancées lors de cette intervention.

 

 

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