L’onde de choc de la dissolution de l’Assemblée nationale et de la convocation d’élections législatives anticipées peut-elle compromettre la reprise du marché de l’immobilier résidentiel ancien ? Depuis l’annonce présidentielle au soir du dimanche 9 juin, des professionnels témoignent de premières répercussions sur le secteur, qui voyait l’activité frémir ces derniers mois.
« Il y a un attentisme. Beaucoup d’acheteurs en ce moment mettent en suspens leurs projets en attendant les élections, reconnaît Loïc Cantin, le président de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim). A l’inverse, note-t-il, certains acquéreurs se précipitent en se disant que les taux d’intérêt d’emprunt immobiliers risquent de remonter. » Ceux qui reportent leur achat sont plutôt « des investisseurs particuliers et des acquéreurs de résidence secondaire, précise Jordan Frarier, président de Foncia Transaction. Ils attendent notamment de voir si la fiscalité va changer », ajoute-t-il.
Moins d’appels
Les ménages ont aussi, pour certains, mis en pause leur recherche de logements. Un sondage mené du 18 au 23 juin par le réseau d’agences L’Adresse et le courtier en crédit Vousfinancer révèle que près de 50 % des agences L’Adresse constatent un impact de la dissolution sur l’attitude des acheteurs ou des acquéreurs potentiels, perçus comme plus attentistes.
« L’annonce de la dissolution nous a ramenés quelques mois en arrière avec, à nouveau, le téléphone qui sonne moins, des acheteurs inquiets et des vendeurs qui ne souhaitent plus vendre », déplore Brice Cardi, président du réseau.
Face aux inconnues de l’après-7 juillet, l’appréhension touche tous les segments de marché, y compris le luxe jusque-là plutôt résilient . « Un couple d’Allemands, avocats en France, qui avait signé une promesse de vente pour l’acquisition, pour 3,3 millions d’euros, d’un appartement boulevard Flandrin, à Paris, s’est rétracté deux jours après l’annonce de la dissolution, confie Olivia Castaing, directrice des agences du 16e arrondissement du groupe Junot. Ces clients possèdent d’autres biens à l’étranger et disent ne pas vouloir prendre de risque et peut-être quitter la France. »
Richard Tzipine, le patron de Barnes constate aussi des annulations ou des mises en sommeil – comme cet achat d’immeuble parisien de plusieurs millions d’euros par des fonds étrangers qui a été gelé. Mais « c’est très marginal », tempère-t-il.
Craintes palpables
Même constat du côté de Sébastien Kuperfis, patron du groupe Junot : « Depuis le 10 juin, 25 offres d’achat ont été acceptées dans nos agences pour des biens vendus entre 700.000 et 1,5 million d’euros et un Saoudien a même signé l’achat d’un hôtel particulier près du Trocadéro à 8,3 millions. »
D’autres confirment la poursuite de l’activité au même rythme qu’avant le 9 juin. C’est le cas d’IAD, premier réseau de mandataires immobiliers en France. « Certains projets de première nécessité avaient déjà été retardés de façon importante », note Clément Delpirou, son président. A un moment donné, incertitudes ou pas, il faut bien se trouver un toit. « La semaine qui a suivi la dissolution a été très bonne en termes de rentrées de mandats et de signatures de compromis de vente », assure aussi Michel Le Bras, président de Propriétés-privées.com.
Le climat est toutefois loin d’être serein. Alors que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’inquiète de « possibles troubles à l’ordre public » les soirs de votes, le président d’un grand réseau anticipe « post-élections et à la rentrée de septembre, des risques exacerbés de conflits sociaux et de manifestations ».
Incertitude sur les taux
Il précise avoir donné dans son réseau « des consignes très claires aux agents sur la façon d’exercer leur métier : comment protéger leurs agences, ne pas laisser leurs ordinateurs et des objets de valeur à l’intérieur, éviter de stationner trop en vue les voitures de fonction avec le logo du réseau ou encore s’abstenir d’organiser des visites dans les semaines qui viennent dans des quartiers où il y a des risques insurrectionnels ».
Jusqu’au soir de l’annonce présidentielle, sans être franchement optimistes, les professionnels se déclaraient plutôt confiants quant à la reprise du marché. « On sentait que les acheteurs revenaient doucement, 2024 devait chez nous se terminer au-dessus de 2023 [en termes de volume de transactions, NDLR]. Nous avons même eu, ces derniers mois, de très belles ventes flash », raconte Richard Tzipine. Il cite notamment le cas d’une maison à Saint-Jean-de-Luz vendue 3,55 millions d’euros en 48 heures, ou d’une propriété en Sologne cédée 1,5 million en 4 heures après une unique visite.
« Les volumes de ventes, les délais de vente et les marges de négociation se stabilisaient et nous revenions à un marché d’équilibre », remarque le président d’un grand réseau. « Les taux avaient baissé, les banques étaient beaucoup plus ouvertes quand elles regardaient les dossiers des acquéreurs, les vendeurs étaient devenus plus raisonnables dans leur prix », indique aussi Jordan Frarier. De quoi redonner un bol d’air aux ménages.
Stabilisation des prix
Au point que les prix ont semblé amorcer une stabilisation. D’après les indices SeLoger – MeilleursAgents – « Les Echos » au 1er juillet, le prix moyen du mètre carré à l’échelle de la France entière a crû de 0,3 % sur un mois en juin, à 3.064 euros, après +0,2 % en mai et un statu quo en mars et en avril. En six mois, les prix s’apprécient encore de 0,5 %, France entière.
A Paris, les prix ont stagné en juin, comme en mai, pour s’établir à 9.224 euros par m². Au premier semestre, le recul atteint 2,2 %. L’ensemble des dix plus grandes villes de France, hors la capitale, affichent aussi une quasi-stabilité sur un mois à +0,2 %.
« Le petit rebond des prix traduit en réalité un sursaut printanier assez mou, tempère Thomas Lefebvre, vice-président data et science de SeLoger – Meilleurs Agents (groupe Aviv). Nous sommes loin d’un retour à la normale. Le marché reste morose. Les prix n’ont pas encore assez corrigé pour fluidifier l’activité et la dynamique générale demeure baissière. »
Pour l’ensemble de 2024, l’expert tablait, avant le 9 juin, sur une chute des prix de 4 % en France, entre 800.000 et 830.000 transactions, et des taux immobiliers autour de 3 % en fin d’année. Avec une sortie du tunnel en 2025. Mais la dissolution a rebattu les cartes et ajouté « du brouillard quant à la direction du marché », regrette-t-il.
D’autant que le carburant des projets des Français, le crédit immobilier – avec une éventuelle remontée des taux d’intérêt -, pourrait pâtir du nouveau contexte politique.
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