L’obligation de paiement de la rémunération de l’Agence fait l’objet d’un encadrement très strict. Fanny QUILAN, Responsable juridique et formatrice chez AXO – L’immobilier Actif nous dresse un rour d’horizon des dernières jurisprudences publiées en la matière.
L’article 6 de la loi Hoguet subordonne le paiement des honoraires à la conclusion effective de la vente, ne fait pas obstacle à ce que l’Agence obtienne la réparation d’un préjudice en cas de comportement fautif du Mandant ou d’un tiers, dès lors qu’elle perd la chance de percevoir sa rémunération (le pourcentage de commissionnement alloué est laissé à la libre appréciation des juges).
Il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, ni à la liberté d’entreprendre, dès lors qu’en cas d’éviction frauduleuse ayant privée l’Agence de ses honoraires, une jurisprudence plutôt constante (mais étroitement liée aux éléments probatoires rapportés) permet d’engager la responsabilité contractuelle du Mandant et délictuelle de l’autre partie.
Voici ce qu’il en est des dernières jurisprudences publiées :
1 – Le Mandant engage sa responsabilité contractuelle pour faute à l’égard de l’Agence
La Cour d’appel de Bordeaux (1) juge que le vendeur qui « [..] connaît une information dont l’importance est déterminante pour [l’Agence] doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information [..] » (2).
Tel est le cas du vendeur qui n’informe pas l’Agence de l’existence d’un plan de redressement, rendant inaliénable la cession de droit au bail faisant l’objet de la vente en cours (3). Le Mandant, qui n’ignore pas l’importance de cette information engage sa responsabilité contractuelle pour faute, sans que la carence de l’Agence ne puisse l’exonérer.
Il est condamné à réparer le préjudice de perte de chance de l’Agence (4).
De la même manière, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence (5) juge que le Mandant (mandat de recherche) qui créer une société interposée pour l’acquisition du bien présenté et l’éviction de l’Agence mandatée, engage sa responsabilité contractuelle pour faute et manquement dans son devoir de loyauté (6).
L’Agence qui justifie de la régularité de son mandat ainsi que d’un bon de visite (7) efficace est fondée à obtenir la réparation de son préjudice en application de la clause pénale dument libellée (8).
Il en va de même du vendeur qui déclare, à tort, être entré en contact directement avec l’acquéreur (sans l’intervention de l’Agence), et qui n’informe pas davantage celle-ci de l’identité de l’acquéreur avec lequel il passe sa vente (9).
Là encore, l’Agence qui justifie de la régularité de son mandat et d’un bon de visite efficace est fondée à obtenir la réparation de son préjudice en application de la clause pénale dument libellée.
2- L’Acquéreur engage sa responsabilité délictuelle pour faute à l’égard de l’Agence
La responsabilité délictuelle de l’acquéreur peut être retenue (10) sous la réserve de démontrer un comportement fautif (les juges conservent un pouvoir d’appréciation).
C’est ainsi que le refus de réitérer la vente est imputable à l’acquéreur qui exerce son droit de rétractation en dehors du délai posé par l’article L.271-1 du CCH. L’Agence privée de son droit à rémunération est en mesure d’en demander réparation (11) (attention : la jurisprudence est plus opportune pour les Agences s’agissant des compromis que des promesses (12).
De la même manière, l’acquéreur engage sa responsabilité délictuelle à l’égard de l’Agence, dès lors qu’il s’est engagé de lui-même, et par écrit dans l’acte de vente, à « faire son affaire personnelle des réclamations des deux agences évincées ».
La Cour d’Aix-en-Provence (13) rappelle là encore que « même s’il n’est pas débiteur de la commission, l’acquéreur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l’agent immobilier, par l’entremise duquel il a été mis en rapport avec le vendeur qui l’avait mandaté, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice même s’il n’est pas débiteur de la commission ».
Cette jurisprudence conserve une certaine constance depuis de nombreuses années (14) sous la réserve de l’appréciation souveraine des juges du fonds, mais aussi de la nature de l’avant-contrat signé (15).
3- La nullité du mandat est abolie par la volonté express et exprimée des parties de passer la vente en incluant le paiement des honoraires de l’Agence
Dans certains cas, le non-respect du formalisme légal du mandat entraîne une nullité dite « relative ».
Cela signifie que la nullité du mandat peut être couverte (= régularisée efficacement).
C’est le cas lorsque les parties prévoient, d’un commun accord, de rétablir l’Agence dans son droit à rémunération. Il faut dans ce cas que l’avant-contrat signé prévoit en son sein le paiement d’honoraires pour l’Agence intervenue (= article dit de « Négociation » ou « Agence »).
Ainsi, la nullité du mandat peut être abolie par la volonté express et exprimée des Parties de passer la vente en incluant le recours à l’Agence, sans qu’il ne soit plus possible de contester son droit à rémunération, ni d’invoquer la nullité du mandat précédemment signé.
Cette nullité relative est alors couverte par la ratification ultérieure d’actes accomplis, incluant en leur sein : le montant des honoraires à payer, l’indication de leur charge et le cas échéant le numéro de mandat (16).
4- Agences immobilières : leur demande a été rejetée et voici la raison
a) Le droit à indemnisation en mandat simple et la vente réalisée par une autre Agence avec un acquéreur précédemment présenté
La Cour d’appel de Besançon (17) juge qu’en présence d’un mandat simple, le vendeur ne peut voir sa responsabilité engagée par l’Agence à l’origine de la présentation du bien, dès lors que la vente est intervenue par l’intermédiaire d’une seconde Agence.
Le mandat était « simple » et sa clause pénale indiquait, au surplus, que l’interdiction de traiter avec l’acquéreur présenté était circonscrite au seul cas de la vente en direct (« directement » selon le terme), ce qui n’était pas le cas ici.
Le vendeur est ainsi libre de se tourner vers une seconde Agence, sans que la première ne puisse s’y opposer.
L’Agence ne peut obtenir la réparation de son préjudice dans ces conditions.
(S’agissant d’un mandat simple, cette jurisprudence conserve une certaine constance depuis 1984 (18), même si le risque judiciaire n’est jamais véritablement écarté).
b) L’Agence qui se place en infraction vis-à-vis des dispositions de la loi Hoguet et de son décret d’application ne peut agir en réparation de son préjudice
Le conseiller qui ne justifie d’aucune attestation d’habilitation se place en infraction vis-à-vis des dispositions de l’art.4 de la loi Hoguet et 9 de son décret d’application.
Cette habilitation est obligatoire pour l’exercice des activités de la loi Hoguet et aucune distinction n’est faite selon que l’intervention du conseiller est ponctuelle ou habituelle.
Faute d’habilitation, l’Agence ne peut obtenir la réparation de son préjudice (19).
c) La nullité « absolue » du mandat qui n’indique pas de numéro de carte professionnelle
Contrairement à ce qui précède en « point 3- » l’absence du numéro de carte T et de son lieu de délivrance entache le mandat d’une nullité dite « absolue » (20).
Cette nullité est insusceptible de confirmation, ni de ratification, dans un acte ultérieurement accompli (l’Agence peut le tenter mais la nullité pourra être invoquée à juste titre).
Cette nullité absolue emporte l’effacement rétroactif du mandat, de sorte que les parties se retrouvent dans l’état dans lequel elles se seraient trouvées si le mandat n’avait pas été conclu (21).
L’Agence ne peut obtenir la réparation de son préjudice dans ces conditions.
d) La réitération ultérieure de la vente à des conditions financièrement différentes lorsque le mandat à expiré
La promesse de vente, pour laquelle un mandat initial avait été donné, n’a pas été conclue.
La Cour constate que la vente réitérée quelques années plus tard portait sur une opération financièrement différente et que le mandat avait expiré.
L’Agence ne peut obtenir la réparation de son préjudice dans ces conditions (22).
1) Cour d’appel de Bordeaux, 6 mars 2023, 20/05057
3) Celle-ci est conditionnée à l’accord du Tribunal, mais aussi par la possibilité pour le vendeur de solder son plan.
4) La perte de chance ne correspond pas à la totalité des honoraires dans la mesure où il n’est pas acquis que l’acquéreur aurait fait une proposition d’achat s’il avait été averti dès l’origine du plan de redressement, ni que la vente serait finalement intervenue.
5) Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 3-2, 9 mars 2023, 20/08208
6) Article 1104 du code civil.
7) CA Paris 2è cc, 12/03/20, n°19/00542 – CA Besançon, 11/06/2019, n°1800287 – CA Douai, 1ère cciv, 4 juillet 2019 n°16-06411.
8) relire « Le droit à rémunération des conseillers immobiliers : zoom sur la jurisprudence applicable »
9) Cour d’appel de Versailles, Chambre 3, 5 octobre 2023, 21/04692
10) Articles 1240 et suivants du code civil
11) Cour d’appel de Douai, 1 décembre 2022, 20/04446
12) La renonciation lever l’option n’engage pas la responsabilité du Bénéficiaire vis-à-vis de l’Agence.
13) Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 25 octobre 2023, 19/19086
14) Cour de cassation, Assemblée plénière, 9 mai 2008, 07-12.449, Publié au bulletin
15) Lorsque la responsabilité de l’acquéreur est recherchée sur ce fondement.
16) Cour d’appel de Versailles, Chambre 12, 16 novembre 2023, 22/04879 – Cour de cassation, Première chambre civile, 19 janvier 2022, 20-14.534
17) Cour d’appel de Besançon, Chambre 1, 10 janvier 2023, 21/00909
18) Relire « Le droit à rémunération des conseillers immobiliers : zoom sur la jurisprudence applicable »
19) Cour de cassation, Troisième chambre civile, 11 mai 2023, 22-11.842, 22-11.910
20) Les dispositions combinées des articles 92 du décret du 20 juillet 1972 et de l’article 3 de la loi du 2 janvier 1970 ont pour objet de réguler la profession d’agent immobilier en s’assurant qu’ils disposent des compétences requises, d’une garantie financière et d’une assurance professionnelle.
21) Cour d’appel de Riom, Chambre commerciale, 17 janvier 2024, 22/01764
22) Cour de cassation, Troisième chambre civile, 1 mars 2023, 21-25.117
Fanny Quilan
Fanny QUILAN est responsable juridique chez AXO – L’immobilier Actif depuis 2018 et formatrice. A travers son expérience au sein du réseau AXO immobilier, elle s’est spécialisée dans les sujets juridiques relatifs à l’immobilier. Elle accompagne les conseillers de son réseau avec détermination, bienveillance et pédagogie.
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